Il ne devait pas être loin de 15h quand je me suis pointée devant la porte de l'appartement d'Emily Brown. Nos deux appartements étaient proches, cela facilité le trajet. Nous habitions toutes deux au-dessus du Green House, cela faisait parti du contrat avec Bullock, elle pouvait ainsi nous garder à l'oeil même durant nos heures de repos.

Je ne travaillais pas ce jour là et je savais - pour avoir jeter un coup d'oeil à nos emplois du temps respectifs - qu'Emily ne travaillait pas avant quelques heures. L'occasion était trop belle pour la laisser passer, je me suis donc dépêchée de m'habiller convenablement (nos tenus du Green House n'étaient pas ce qu'il y avait de plus respectable) puis, je suis allée frapper à sa porte. Peut être y aurait-il Jane, sa fille. Elle avait tendance à traîner dans les rues de Saint Elmo ce qui était franchement dangereux pour une enfant de son âge mais que pouvait faire Emily ? Elle n'avait sans doute pas les moyens de payer une nourrice et la gamine devait bien se débrouiller seule lorsque sa mère étaient.. au travail.

Je n'étais pas une grande amie d'Emily avant ces derniers jours. Je ne m'étais pas souvent préoccupée de son sort, sans compter que je ressentais une certaine animosité envers sa confidente : Dolores. Mais voila, les choses avaient changé lorsque je m'étais retrouvée sous l'emprise de Bill le Boucher et j'avais une mission à accomplir si je tenais à la vie (et Dieu seul sait que j'y tenais !). Quoiqu'il en soit, j'ai donc du faire le premier pas vers Emily, la fréquenter, passer du temps avec elle dans le but d'en apprendre plus sur elle. J'y allais plutôt lentement, je ne voulais pas poser de questions indiscrètes et nous n'en étions pas encore au stade des confidences.. J'espérais juste que Bill Poole aurait la patience d'attendre encore. Je réprimais un frisson à l'idée de ce qui m'attendait si je ne trouvais pas le nom du père de Jane.

▬ Bonjour Emily ! C'est Dehlia. Annonçais-je de ma voix la plus amicale en frappant à la porte.

Je n'entendis aucune réponse de l'autre côté de la porte. C'était bien ma veine ! Emily avait s'en doute dû sortir pour profiter de ces quelques heures de répit. Je me mordis la lèvre, j'étais inquiète. J'essayais de me rapprocher d'Emily mais ce n'était pas chose aisée, nous étions toutes deux très occupées et nous ne nous croisions pas souvent au Green House. J'avais épuisé mes ressources et je ne savais plus comment l'atteindre. J'avais cette impression qu'une ombre obscure planait au-dessus de ma tête et cela me rendait la vie très désagréable. Je commençais sérieusement à désespérer quand enfin, la porte s'ouvrit sur une petite tête blonde..

Jane ne faisait pas toujours ce qu’une petite fille de son âge devrait faire, et ne traînait certainement pas à des places où sa mère rêverait de la savoir, mais une chose était certaine : ses journées étaient toujours bien remplies. Il lui fallait bien s’occuper, lorsque sa mère était au travail ; on ne pouvait alors rien lui reprocher. D’ailleurs, Jane était curieuse, aimait apprendre, c’était donc là tout à son image.

Mais aujourd’hui, lorsque l’on cogna à la porte de l’appartement, Jane était sagement à l’intérieur. Elle avait curieusement refusé d’aller faire les courses avec sa mère et sa marraine. Même Jane pouvait refuser certaines activités. Elle en avait préférée une autre. Assise à la table de la cuisine, un grand livre était ouvert devant elle. Elle le regardait parfois avec de grands yeux, d’autre fois en les plissant d’interrogation, tournant les pages à un rythme plus ou moins régulier, s’arrêtant lorsqu’elle voyait quelque chose qui semblait intéressant. Sa mère n’aurait pas aimé la voir avec ce livre, d’autant qu’il ne lui appartenait pas. Mais ça, c’était une toute autre histoire.

Lorsque, donc, quelqu’un cogna à la porte, et qu’une voix s’annonça de l’autre côté, Jane releva vivement la tête. Reconnaissant la voix, un sourire prit forme sur son visage. Le rapprochement entre sa mère et Delhia lui plaisait, d’autant plus qu’elle trouvait cette dernière intéressante. Mais elle trouvait des tas de personnes intéressantes. Avant de se lever pour aller ouvrir, Jane se rappela quelque chose d’important : elle attrapa le livre interdit et le cacha dans sa chambre. La porte s’ouvrit finalement sur sa petite tête.

« Salut ! …Désolé, mère n’est pas là, elle est partie faire des courses. Elle ne devrait pas être bien longue. » Une fois ces informations dévoilées avec sérieux, un sourire s’afficha sur son visage et elle déclara : « Mais tu peux entrer ! Je suis toute seule. » Elle lui ouvrit la porte en grand.

Je ne sais pourquoi, j'ai ressenti un certain soulagement à la vue de l'enfant. Je n'étais pas certaine de savoir m'y prendre avec les gamins mais la petite Brown était plutôt amusante et se montrait d'une subtile intelligence. Je la considérais parfois presque plus comme une adulte qu'une enfant. Certain de mes clients avaient bien moins de jugeote que cette gamine. Lorsqu'elle me répondit, je lui souris d'un air rassurant. J'étais enchantée par sa proposition, je n'aurai même pas besoin de m'imposer puisqu'elle m'invitait d'elle même !

▬ D'accord, je vais attendre ta maman à l'intérieur. Dis-je en pénétrant dans l'appartement.

Il ressemblait au mien, petit, sombre, spartiate mais l'appartement d'Emily avait quelque chose de plus.. Joyeux, presque coloré. L'arrivée de Jane avait sans aucun doute bouleversé sa petite vie. Je n'arrivais pas à imaginer mon quotidien se modifier aussi brusquement. Je redoutais la grossesse, je faisais toujours bien attention, respectant à la lettre les indications du Doc'. Dans les moments de doute, il m'arrivait de craquer et de penser qu'une présence enfantine m'aiderait à surmonter mes interminables soirées au Green House.. Mais ma conscience revenait au galop. Je ne voudrais jamais faire naître un enfant dans cet enfer. Si cela venait à arriver, ce serait absolument involontaire de ma part.

Sortant brusquement de mes pensées, je me suis dirigée vers la petite table en bois du salon - ou du moins, de la pièce principale. Je m'assis et fit le tour de la pièce du regard. Je vis quelques jouets et livres pour enfant, j'en fus très étonnée !

▬ Mais, tu apprends à lire ?! M'exclamais-je, incrédule. Je savais (ou j'en étais presque certaine) qu'Emily ne savait pas lire. D'ailleurs, cela n'avait rien d'une tare, nous, les prostituées, étions complètement analphabètes. La seule chose que nous savions faire étaient compter l'argent et encore, là aussi, il arrivait que l'on fasse quelques erreurs (erreurs durement payées). J'étais donc forcément étonnée qu'une enfant de catin apprenne à lire. C'était une vraie chance pour Jane, une chance d'avoir accès à un métier bien plus moral et intellectuel. L'avenir de cette petite fille me paraissait soudainement, un peu moins sombre.

PS: Désolée pour les fautes et le temps de réponse ! Je me rattraperai ^^'

<< D'accord, je vais attendre ta maman à l'intérieur. >> Merveilleux ! Jane ne demandait pas mieux. Cela lui ferait de la compagnie. Bien sûr, elle avait précédemment été très occupée avec un livre, mais Dehlia ne constituait pas un dérangement désagréable, au contraire. C’était un deux en un, sa mère allait avoir la surprise d’une visite lorsqu’elle reviendrait, et elle allait profiter de la présence de la femme. Jane ne demandait pas beaucoup d’attention, mais inutile de préciser qu’elle adorait s’immiscer dans la vie des gens. « Génial ! Elle sera contente de te voir. » Supposition enfantine. Jane, de très bonne humeur comme à son habitude, s’installa à la table et tourna la tête vers la nouvelle venue qui, elle, regardait l’endroit comme si ce fut la première fois qu’elle y entrait – c’était peut-être le cas, Jane n’était pas trop au courant.

<< Mais, tu apprends à lire ?! >> Et Jane dénotait tant d'incrédulité dans cette voix qu'elle en fut offensée. Et son jolie petit visage enfantin exprima très bien se sentiment. Pourquoi tout le monde semblait si surpris de ce fait ? Ce n’était quand même pas l’annonce du siècle. Avait-elle l’air d'une innocente petite gamine ? Elle affirma, semblant très fière de le faire : « Je n’apprend pas, je sais lire. » Cela dit, Jane savait que plusieurs personnes n’étaient pas douées de ce petit don, et que c’était simplement grâce aux bons soins de sa mère qu’elle devait cet apprentissage. À vrai dire, c’était peut-être là réellement l’annonce du siècle. Elle ne garda pas son air renfrogné très longtemps et demanda : « Pourquoi est-ce que c’est si étonnant que je sache lire ? »

Elle joua un peu avec le verre posé sur la table, attendant une réponse. Elle en prit une gorgée, et sembla avoir une illumination. Prenant ce qui semblait être son rôle d’hôte au sérieux, elle demanda : « J’ai de l’eau, tu en veux ? » Une cruche était posée non loin, attendant juste que l’on s’en serve. Jane demanda alors soudainement : « Au fait, pourquoi voulais-tu voir mère ? »


PS : Inutile, je suis pire que toi !